La souscription d’une assurance emprunteur constitue une étape déterminante dans l’obtention d’un prêt immobilier. Cette protection, qui sécurise à la fois le prêteur et l’emprunteur, repose sur un principe fondamental : la sincérité des déclarations. Pourtant, de nombreux assurés se retrouvent confrontés à des situations complexes après avoir commis, sans intention frauduleuse, des erreurs ou omissions dans leurs questionnaires de santé. Ces fausses déclarations non intentionnelles peuvent entraîner des conséquences juridiques considérables, allant de la majoration de prime à la nullité du contrat. Face à l’augmentation des contentieux dans ce domaine, la jurisprudence et le législateur ont progressivement défini un cadre protecteur pour l’assuré de bonne foi, tout en préservant l’équilibre économique du contrat d’assurance.
Le cadre juridique des déclarations en assurance emprunteur
L’assurance emprunteur s’inscrit dans un environnement légal strictement encadré par le Code des assurances et le Code de la consommation. L’article L.113-2 du Code des assurances impose à l’assuré de répondre avec exactitude aux questions posées par l’assureur, notamment dans le formulaire de déclaration du risque. Cette obligation constitue le socle de l’équilibre contractuel en permettant à l’assureur d’évaluer précisément le risque qu’il accepte de garantir.
Le questionnaire médical représente l’outil principal par lequel l’assureur collecte ces informations. Sa rédaction doit respecter des règles strictes, confirmées par la Cour de cassation dans plusieurs arrêts de principe. Les questions doivent être précises, sans ambiguïté, et ne peuvent être formulées de manière trop générale. Un arrêt du 4 février 2016 (Cass. 2e civ., n°15-13850) a ainsi rappelé que « l’assureur ne peut se prévaloir de la réticence ou de la fausse déclaration intentionnelle de l’assuré que si les questions posées présentent un caractère précis ».
Le droit au silence de l’assuré a été progressivement reconnu par la jurisprudence. L’arrêt du 15 février 2007 (Cass. 2e civ., n°05-20865) a consacré ce principe en affirmant que l’assuré n’est pas tenu de déclarer spontanément des éléments sur lesquels l’assureur ne l’interroge pas spécifiquement. Cette évolution jurisprudentielle a été renforcée par la loi Lagarde de 2010 puis par la loi Lemoine de 2022, qui ont accru les obligations de transparence des assureurs.
La distinction juridique entre fausse déclaration intentionnelle et non intentionnelle s’avère fondamentale. L’article L.113-8 du Code des assurances sanctionne la mauvaise foi par la nullité du contrat, tandis que l’article L.113-9 prévoit un régime plus souple pour l’assuré de bonne foi. Cette différenciation repose sur un critère subjectif – l’intention de tromper – que les tribunaux apprécient souverainement en fonction des circonstances de chaque espèce.
Le principe de proportionnalité dans le traitement des déclarations inexactes
Le législateur a introduit un principe de proportionnalité dans le traitement des déclarations inexactes non intentionnelles. La réforme de 2014 a ainsi renforcé l’obligation pour les assureurs de justifier le lien entre l’inexactitude constatée et le sinistre survenu. Cette évolution législative vise à protéger les assurés contre des refus de garantie fondés sur des omissions sans lien causal avec le dommage indemnisable.
Qualification juridique de la fausse déclaration non intentionnelle
La caractérisation d’une fausse déclaration comme non intentionnelle repose sur plusieurs critères juridiques que les tribunaux ont progressivement affinés. L’absence d’intention frauduleuse constitue l’élément central de cette qualification, mais sa démonstration s’avère souvent complexe dans la pratique.
La jurisprudence a dégagé plusieurs indices permettant de présumer la bonne foi de l’assuré. Dans un arrêt du 22 mars 2018 (Cass. 2e civ., n°17-10636), la Cour de cassation a considéré que l’assuré qui omet de déclarer une pathologie dont il ignore la gravité ne commet pas de fausse déclaration intentionnelle. De même, la méconnaissance par l’assuré de l’importance d’une information pour l’appréciation du risque peut exclure la qualification de mauvaise foi.
La charge de la preuve du caractère intentionnel de la fausse déclaration incombe à l’assureur, conformément à l’article 1353 du Code civil. Cette règle procédurale fondamentale a été rappelée par la Cour de cassation dans un arrêt du 7 février 2019 (Cass. 2e civ., n°18-10725). L’assureur doit ainsi démontrer non seulement l’inexactitude de la déclaration, mais également l’intention dolosive de l’assuré.
Les tribunaux prennent en compte plusieurs facteurs pour apprécier le caractère non intentionnel d’une fausse déclaration :
- Le niveau d’éducation et de compréhension de l’assuré
- La clarté et la précision des questions posées dans le questionnaire
- L’assistance éventuelle d’un intermédiaire lors de la souscription
- La complexité des termes médicaux employés
- Le délai écoulé entre le diagnostic d’une pathologie et la souscription
La frontière entre négligence et dissimulation volontaire s’avère parfois ténue. La jurisprudence tend néanmoins à protéger l’assuré qui commet une erreur par simple oubli ou par méconnaissance. Ainsi, dans un arrêt du 14 septembre 2017 (Cass. 2e civ., n°16-19613), la Haute juridiction a refusé de qualifier d’intentionnelle l’omission d’un assuré qui n’avait pas mentionné un traitement médicamenteux qu’il suivait depuis plusieurs années mais dont il n’avait pas saisi l’importance.
Le cas particulier des questionnaires remplis avec l’aide d’un professionnel
Les tribunaux adoptent une approche spécifique lorsque le questionnaire a été complété avec l’assistance d’un courtier ou d’un conseiller bancaire. Cette situation peut constituer un indice fort de l’absence d’intention frauduleuse, l’assuré ayant fait confiance à un professionnel pour l’aider dans ses démarches. La responsabilité de l’intermédiaire peut alors être engagée en cas d’erreur ou d’omission dans les déclarations transmises à l’assureur.
Conséquences juridiques sur le contrat d’assurance emprunteur
Contrairement aux fausses déclarations intentionnelles, qui entraînent la nullité du contrat, les déclarations inexactes commises de bonne foi produisent des effets juridiques nuancés, prévus par l’article L.113-9 du Code des assurances. Ce dispositif légal distingue deux situations selon que la découverte de l’inexactitude intervient avant ou après la survenance d’un sinistre.
Lorsque la fausse déclaration non intentionnelle est découverte avant tout sinistre, l’assureur dispose d’une alternative :
- Maintenir le contrat moyennant une augmentation de prime acceptée par l’assuré
- Résilier le contrat avec remboursement de la portion de prime correspondant à la période non couverte
Cette faculté de résiliation doit être exercée dans un délai de 10 jours à compter de la notification adressée à l’assuré par lettre recommandée. L’assureur qui tarderait à faire usage de ce droit pourrait se voir opposer une renonciation tacite, comme l’a jugé la Cour de cassation dans un arrêt du 3 octobre 2019 (Cass. 2e civ., n°18-19241).
La situation se complexifie lorsque la fausse déclaration est découverte après la survenance d’un sinistre. L’indemnité due par l’assureur subit alors une réduction proportionnelle, calculée selon le rapport entre la prime effectivement payée et celle qui aurait été due si les risques avaient été complètement et exactement déclarés. Cette règle proportionnelle traduit l’idée que l’assureur n’a pas perçu une prime correspondant au risque réel qu’il a couvert.
La mise en œuvre de cette réduction proportionnelle soulève des difficultés pratiques considérables. L’assureur doit établir avec précision le montant de la prime qu’il aurait exigée en cas de déclaration exacte, ce qui suppose une reconstitution hypothétique de sa politique de tarification au moment de la souscription. Les tribunaux exercent un contrôle strict sur ce calcul, exigeant des éléments objectifs et vérifiables.
En matière d’assurance emprunteur, la Cour de cassation a précisé que la réduction proportionnelle s’applique au capital restant dû au moment du sinistre, et non au montant initial du prêt. Cette solution, consacrée par un arrêt du 19 janvier 2017 (Cass. 2e civ., n°16-13869), préserve l’équilibre économique du contrat tout en limitant les conséquences financières pour les ayants droit de l’assuré.
Délais et prescription applicables
L’action de l’assureur fondée sur une fausse déclaration non intentionnelle est soumise au délai de prescription biennale prévu par l’article L.114-1 du Code des assurances. Ce délai court à compter du jour où l’assureur a eu connaissance de l’inexactitude, et non du jour de la souscription du contrat ou de la survenance du sinistre. Cette règle, favorable à l’assuré, limite significativement la période pendant laquelle l’assureur peut invoquer une déclaration inexacte pour réduire son indemnisation.
Évolutions jurisprudentielles et renforcement de la protection de l’assuré
La jurisprudence récente témoigne d’une tendance favorable aux assurés en matière de fausses déclarations non intentionnelles. Cette évolution s’inscrit dans un mouvement plus large de protection de la partie faible au contrat d’assurance, particulièrement visible dans le domaine de l’assurance emprunteur.
La Cour de cassation a progressivement durci ses exigences concernant la rédaction des questionnaires de santé. Dans un arrêt remarqué du 10 décembre 2020 (Cass. 2e civ., n°19-18855), elle a jugé que l’imprécision des questions posées par l’assureur fait obstacle à la sanction de l’assuré pour fausse déclaration non intentionnelle. Cette solution étend aux déclarations inexactes de bonne foi une protection auparavant réservée aux fausses déclarations intentionnelles.
L’exigence d’un lien de causalité entre l’omission et le sinistre s’est également renforcée. Si la lettre de l’article L.113-9 du Code des assurances n’impose pas formellement cette condition, la jurisprudence tend à l’introduire par une interprétation téléologique des textes. Ainsi, dans un arrêt du 5 novembre 2019 (Cass. 2e civ., n°18-23802), la Haute juridiction a refusé d’appliquer la réduction proportionnelle à un assuré qui avait omis de déclarer une pathologie sans lien avec la cause de son décès.
La loi Lemoine du 28 février 2022 a marqué une avancée significative dans la protection des emprunteurs en supprimant le questionnaire médical pour les prêts inférieurs à 200 000 euros arrivant à terme avant le 60e anniversaire de l’assuré. Cette réforme limite considérablement les risques de fausses déclarations en matière de santé pour une large part des emprunteurs.
Le devoir de conseil des intermédiaires d’assurance a été considérablement renforcé par la jurisprudence. Les courtiers et banquiers sont désormais tenus d’une obligation d’information et d’assistance renforcée lors de la souscription d’une assurance emprunteur. La Cour de cassation, dans un arrêt du 12 mars 2020 (Cass. 1re civ., n°19-10875), a ainsi engagé la responsabilité d’un établissement bancaire qui n’avait pas suffisamment alerté son client sur les conséquences d’une déclaration inexacte.
L’impact du droit européen sur le traitement des fausses déclarations
Le droit européen, notamment à travers la directive distribution d’assurance (DDA) transposée en droit français en 2018, a renforcé les obligations d’information et de conseil des distributeurs d’assurance. Cette évolution contribue indirectement à limiter les risques de fausses déclarations non intentionnelles en améliorant la compréhension par les assurés des informations demandées.
Stratégies juridiques et recours pour l’emprunteur face à une réduction d’indemnité
L’emprunteur confronté à une réduction d’indemnité pour fausse déclaration non intentionnelle dispose de plusieurs moyens de défense et voies de recours. La contestation de la décision de l’assureur constitue souvent une démarche préalable indispensable avant toute action judiciaire.
La première ligne de défense consiste à contester la qualification même de fausse déclaration. L’emprunteur peut invoquer l’imprécision des questions posées dans le questionnaire de santé, conformément à la jurisprudence constante de la Cour de cassation. Un arrêt du 17 septembre 2020 (Cass. 2e civ., n°19-10100) a ainsi rappelé que « l’assureur ne peut se prévaloir d’une réponse inexacte de l’assuré que si la question posée était suffisamment précise pour que l’assuré comprenne l’information recherchée ».
L’absence de lien causal entre l’information omise et le sinistre peut également être invoquée, même si cette argumentation ne trouve pas directement appui dans le texte de l’article L.113-9 du Code des assurances. La jurisprudence récente montre une certaine réceptivité des tribunaux à ce moyen de défense, qui s’inscrit dans une approche finaliste du droit des assurances.
La contestation du calcul de la réduction proportionnelle représente un axe stratégique majeur. L’emprunteur peut exiger de l’assureur qu’il justifie précisément le montant de la prime qui aurait été appliquée en cas de déclaration exacte. Cette justification doit s’appuyer sur des éléments objectifs et contemporains de la souscription, comme l’a rappelé la Cour de cassation dans un arrêt du 6 février 2020 (Cass. 2e civ., n°18-19518).
Le recours à l’expertise judiciaire constitue souvent une étape déterminante dans ces litiges. L’expert désigné par le tribunal peut éclairer les magistrats sur des questions techniques complexes, notamment :
- L’état de santé réel de l’assuré au moment de la souscription
- L’influence de la pathologie non déclarée sur le risque couvert
- Le lien éventuel entre cette pathologie et la survenance du sinistre
- La tarification qui aurait été appliquée en cas de déclaration complète
La mise en cause de la responsabilité de l’intermédiaire d’assurance offre une voie de recours complémentaire. Le courtier ou le banquier qui a assisté l’emprunteur dans la souscription peut voir sa responsabilité engagée pour manquement à son devoir de conseil. Cette action, fondée sur l’article L.521-4 du Code des assurances, permet d’obtenir réparation du préjudice résultant de la réduction d’indemnité.
La médiation de l’assurance représente une alternative au contentieux judiciaire. Cette procédure gratuite et confidentielle permet souvent d’obtenir un règlement amiable du litige dans des délais raisonnables. Le médiateur, tiers indépendant, émet un avis que l’assureur s’engage généralement à respecter si l’assuré l’accepte.
La protection offerte par les clauses contractuelles spécifiques
Certains contrats d’assurance emprunteur comportent des clauses limitant les conséquences des fausses déclarations non intentionnelles. Les clauses d’incontestabilité, qui interdisent à l’assureur d’invoquer une fausse déclaration après un délai déterminé (généralement deux ans), offrent une protection significative à l’emprunteur de bonne foi. La validité de ces clauses a été reconnue par la jurisprudence, sous réserve qu’elles ne couvrent pas les fausses déclarations intentionnelles.
La recherche d’une garantie alternative peut s’avérer nécessaire lorsque l’assureur maintient sa décision de réduire l’indemnité. L’emprunteur peut alors se tourner vers d’autres mécanismes de protection, comme les garanties hypothécaires ou le cautionnement. Ces solutions, bien que moins avantageuses que l’assurance emprunteur, permettent d’éviter la déchéance du terme du prêt en cas de sinistre.
Vers une réforme du régime juridique des fausses déclarations en assurance emprunteur
L’équilibre actuel du régime des fausses déclarations non intentionnelles suscite des débats tant dans la doctrine juridique que parmi les professionnels du secteur. Plusieurs pistes de réforme émergent pour améliorer la protection des emprunteurs tout en préservant la viabilité économique du système assurantiel.
L’introduction explicite d’une exigence de causalité entre l’information omise et le sinistre constituerait une évolution majeure. Cette réforme, inspirée de modèles étrangers comme le droit allemand ou belge, limiterait la réduction d’indemnité aux seuls cas où la fausse déclaration a effectivement influencé la réalisation du risque. Une proposition de loi en ce sens a été déposée au Sénat en janvier 2022, mais n’a pas encore abouti.
La standardisation des questionnaires de santé représente une autre voie d’amélioration. En imposant l’utilisation de formulaires types, élaborés par l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) en concertation avec les associations de patients, le législateur pourrait réduire considérablement les risques d’incompréhension et d’erreur. Cette approche, déjà adoptée dans certains pays européens, permettrait d’harmoniser les pratiques tout en garantissant la clarté des questions posées.
L’extension du droit à l’oubli médical constitue une réforme particulièrement attendue par les associations de patients. Ce dispositif, introduit par la convention AERAS puis consacré par la loi, permet aux personnes ayant souffert de certaines pathologies graves de ne plus les déclarer après un délai déterminé. Son élargissement à d’autres maladies et la réduction des délais d’application limiteraient mécaniquement les cas de fausses déclarations non intentionnelles.
Le renforcement de l’obligation d’information précontractuelle des assureurs pourrait également contribuer à prévenir les déclarations inexactes. En imposant aux assureurs d’expliquer clairement les conséquences d’une omission ou d’une inexactitude, y compris lorsqu’elle n’est pas intentionnelle, le législateur favoriserait une meilleure prise de conscience des enjeux par les emprunteurs.
La mise en place d’un délai de réflexion obligatoire avant la signature du questionnaire médical permettrait à l’assuré de vérifier l’exactitude de ses déclarations, notamment en consultant son dossier médical partagé ou son médecin traitant. Cette mesure préventive, qui pourrait être associée à un droit de rectification sans pénalité dans un délai déterminé, réduirait significativement les risques d’erreur de bonne foi.
L’influence du numérique sur la gestion des déclarations de risque
La digitalisation croissante du secteur de l’assurance transforme progressivement les modalités de collecte et de vérification des informations médicales. L’accès au Dossier Médical Partagé (DMP), avec le consentement de l’assuré, pourrait à terme remplacer certaines déclarations et limiter ainsi les risques d’inexactitude. Cette évolution technologique soulève néanmoins d’importantes questions relatives à la protection des données personnelles et au secret médical.
