L’avenir du CPF : Quelles perspectives juridiques pour cette évolution majeure du droit à la formation ?

Le Compte Personnel de Formation (CPF) a révolutionné le paysage de la formation professionnelle en France depuis sa création. Cependant, son cadre juridique est appelé à évoluer pour répondre aux enjeux futurs du marché du travail. Quelles sont les perspectives d’évolution du CPF sur le plan légal ? Examinons les pistes envisagées et leurs implications pour les actifs et les entreprises.

Le contexte actuel du CPF : un dispositif en pleine mutation

Le CPF a été instauré par la loi du 5 mars 2014 relative à la formation professionnelle. Depuis, il a connu plusieurs évolutions majeures, notamment avec la loi Avenir professionnel de 2018 qui l’a monétisé. Aujourd’hui, le CPF est devenu un outil incontournable de la formation tout au long de la vie, avec plus de 38 millions de comptes activés et 5 millions de formations financées depuis 2015.

Malgré son succès, le dispositif fait face à des défis importants. Le coût croissant pour les finances publiques, estimé à 2 milliards d’euros en 2022, pose la question de sa soutenabilité. De plus, des interrogations persistent quant à l’adéquation entre les formations choisies et les besoins du marché du travail. Ces constats appellent à une réflexion sur l’évolution juridique du CPF.

Vers un encadrement renforcé des formations éligibles

Une des pistes envisagées est le renforcement du contrôle sur les formations éligibles au CPF. Actuellement, la Commission nationale de la certification professionnelle (CNCP) est chargée de valider les certifications inscrites au Répertoire national. Une évolution pourrait consister à durcir les critères d’éligibilité, en mettant davantage l’accent sur l’employabilité et l’adéquation avec les besoins du marché.

Maître Sophie Durand, avocate spécialisée en droit du travail, explique : « Un projet de décret est à l’étude pour introduire une évaluation systématique de l’impact des formations sur l’insertion professionnelle. Cela pourrait se traduire par l’obligation pour les organismes de formation de fournir des statistiques précises sur le devenir professionnel des stagiaires. »

L’introduction d’un reste à charge : un débat juridique complexe

L’idée d’introduire un reste à charge pour les bénéficiaires du CPF fait l’objet de discussions intenses. Cette mesure viserait à responsabiliser les utilisateurs et à réduire la pression sur les finances publiques. Toutefois, sa mise en œuvre soulève des questions juridiques épineuses.

Me Jean Dupont, expert en droit de la formation professionnelle, souligne : « L’introduction d’un reste à charge pourrait être considérée comme une atteinte au principe d’égalité d’accès à la formation. Il faudrait prévoir des mécanismes de compensation pour les publics les plus fragiles, ce qui nécessiterait une modification législative conséquente. »

Une piste envisagée serait de moduler ce reste à charge en fonction des revenus ou de la situation professionnelle du bénéficiaire. Cela impliquerait une refonte du Code du travail, notamment des articles L6323-1 et suivants relatifs au CPF.

Le renforcement du rôle des entreprises : vers un co-investissement formation

Une autre perspective d’évolution concerne l’implication accrue des entreprises dans le financement du CPF. L’idée serait de favoriser un co-investissement entre l’employeur et le salarié pour certaines formations alignées sur les besoins de l’entreprise.

Me Claire Martin, spécialiste du droit de la formation professionnelle, précise : « Un projet de loi pourrait introduire un mécanisme d’abondement automatique du CPF par l’employeur pour des formations identifiées comme stratégiques. Cela nécessiterait une modification de l’article L6323-4 du Code du travail et la création d’un cadre juridique spécifique pour ces abondements. »

Cette évolution s’inscrirait dans la logique de co-construction des parcours professionnels promue par les récentes réformes du droit du travail. Elle pourrait s’accompagner d’incitations fiscales pour les entreprises participantes, nécessitant des ajustements du Code général des impôts.

La création d’un « CPF de transition écologique »

Face aux enjeux de la transition écologique, l’idée d’un CPF spécifique dédié aux métiers verts fait son chemin. Ce dispositif viserait à faciliter les reconversions professionnelles vers les secteurs liés à l’environnement et au développement durable.

Me Léa Dubois, avocate en droit de l’environnement, explique : « La création d’un CPF de transition écologique nécessiterait l’adoption d’une loi spécifique, définissant précisément les formations éligibles et les modalités de financement. Cela pourrait s’inspirer du modèle du CPF de transition professionnelle, tout en l’adaptant aux spécificités des métiers verts. »

Cette évolution s’inscrirait dans le cadre plus large de la loi Climat et Résilience et pourrait impliquer la création d’un nouveau chapitre dans le Code du travail dédié à la formation professionnelle pour la transition écologique.

L’intégration du CPF dans un parcours de formation tout au long de la vie

Une réflexion de fond porte sur l’articulation du CPF avec les autres dispositifs de formation existants. L’objectif serait de créer un véritable parcours de formation tout au long de la vie, intégrant le CPF, la validation des acquis de l’expérience (VAE), et les formations en alternance.

Me Philippe Rousseau, avocat spécialisé en droit de la formation, indique : « Une réforme d’envergure pourrait consister à créer un ‘compte formation universel’, fusionnant le CPF avec d’autres dispositifs. Cela nécessiterait une refonte complète du Livre III de la sixième partie du Code du travail, ainsi qu’une harmonisation avec les dispositions du Code de l’éducation relatives à la formation continue. »

Cette évolution s’inscrirait dans la continuité des réformes visant à simplifier et rendre plus lisible le paysage de la formation professionnelle. Elle pourrait s’accompagner de la création d’un guichet unique pour l’orientation et l’accompagnement des actifs dans leur parcours de formation.

Les enjeux de la portabilité internationale du CPF

Dans un contexte de mobilité professionnelle croissante, la question de la portabilité internationale du CPF se pose avec acuité. Il s’agirait de permettre aux travailleurs français de mobiliser leurs droits à la formation lors de périodes d’emploi à l’étranger, et réciproquement, de reconnaître les droits acquis à l’étranger pour les travailleurs venant s’installer en France.

Me Sarah Cohen, spécialiste du droit international du travail, explique : « La mise en place d’une portabilité internationale du CPF nécessiterait la négociation d’accords bilatéraux ou multilatéraux avec nos partenaires européens et internationaux. Cela impliquerait également une adaptation du cadre juridique national, notamment des articles L6323-9 et suivants du Code du travail relatifs à la mobilisation du CPF. »

Cette évolution s’inscrirait dans la dynamique européenne de promotion de la mobilité des travailleurs et pourrait s’appuyer sur les travaux en cours au niveau de l’Union européenne sur la reconnaissance mutuelle des qualifications et des compétences.

L’avenir juridique du CPF s’annonce riche en évolutions, reflétant les mutations profondes du monde du travail et de la formation professionnelle. Ces perspectives d’évolution visent à renforcer l’efficacité du dispositif, tout en l’adaptant aux nouveaux enjeux économiques, sociaux et environnementaux. La mise en œuvre de ces changements nécessitera un travail législatif et réglementaire conséquent, ainsi qu’une concertation approfondie avec l’ensemble des parties prenantes. L’enjeu est de taille : faire du CPF un levier encore plus puissant pour l’employabilité et l’épanouissement professionnel de tous les actifs.