La question de la titularité des noms de domaine dans le cadre d’une relation de travail salarié soulève des problématiques juridiques complexes à l’intersection du droit du travail, du droit de la propriété intellectuelle et du droit des contrats. Lorsqu’un salarié enregistre ou contribue à créer un nom de domaine pour son employeur, la détermination du titulaire légitime peut devenir source de contentieux, notamment lors de la rupture du contrat de travail. Les tribunaux français ont progressivement élaboré une jurisprudence nuancée sur cette question, tenant compte tant du lien de subordination inhérent au contrat de travail que des droits potentiels du salarié sur ses créations. Cette problématique revêt une dimension stratégique pour les entreprises dont la présence en ligne constitue un actif immatériel de valeur considérable.
Cadre juridique de la titularité des noms de domaine en France
La titularité d’un nom de domaine en droit français s’inscrit dans un cadre juridique spécifique qui ne relève pas directement du régime de la propriété intellectuelle classique. En effet, contrairement aux œuvres protégées par le droit d’auteur ou aux inventions brevetables, le nom de domaine constitue avant tout un identifiant technique permettant d’accéder à un site internet. Sa nature juridique hybride en fait un objet de droit particulier.
L’AFNIC (Association Française pour le Nommage Internet en Coopération), organisme gestionnaire des noms de domaine en .fr, applique le principe du « premier arrivé, premier servi » pour l’attribution des noms de domaine. Cette règle, inscrite dans sa charte de nommage, signifie que la priorité est donnée au premier demandeur qui satisfait aux conditions d’éligibilité, sans préjuger des droits que des tiers pourraient faire valoir ultérieurement.
Au niveau légal, la loi pour la confiance dans l’économie numérique (LCEN) du 21 juin 2004 encadre partiellement la question en prévoyant que les personnes qui enregistrent des noms de domaine doivent communiquer leurs coordonnées exactes. Toutefois, cette législation n’aborde pas spécifiquement la problématique de la titularité dans le cadre d’une relation de travail salarié.
En l’absence de dispositions légales spécifiques, les tribunaux ont dû construire progressivement un corpus jurisprudentiel pour traiter des litiges entre employeurs et salariés concernant la titularité des noms de domaine. Le Tribunal de Grande Instance de Paris a rendu plusieurs décisions marquantes en la matière, reconnaissant généralement la titularité à l’employeur lorsque l’enregistrement du nom de domaine s’inscrit dans le cadre des fonctions du salarié.
Principes directeurs en matière de titularité
Les juridictions françaises s’appuient sur plusieurs critères pour déterminer la titularité légitime d’un nom de domaine enregistré par un salarié :
- L’existence d’un lien direct entre l’enregistrement du nom de domaine et les fonctions exercées par le salarié
- L’utilisation du nom de domaine dans l’intérêt de l’entreprise
- Le financement des frais d’enregistrement et de maintenance
- L’intention des parties au moment de l’enregistrement
La Cour de cassation a confirmé dans un arrêt du 10 février 2015 que l’enregistrement d’un nom de domaine par un salarié dans le cadre de ses fonctions ne lui confère pas de droits personnels sur ce nom de domaine, celui-ci devant être considéré comme un actif appartenant à l’entreprise.
Cette approche s’inscrit dans la continuité du principe selon lequel les créations réalisées par un salarié dans l’exercice de ses fonctions appartiennent à l’employeur, par application analogique des règles relatives aux inventions de salariés prévues par le Code de la propriété intellectuelle.
Distinction entre les différents types d’enregistrement par un salarié
Les situations d’enregistrement de noms de domaine par un salarié peuvent être variées, et la qualification juridique de ces situations influence directement la détermination du titulaire légitime. Une analyse fine des circonstances de l’enregistrement s’avère donc nécessaire.
L’enregistrement dans le cadre des missions du salarié
Lorsqu’un salarié procède à l’enregistrement d’un nom de domaine dans le cadre explicite de ses fonctions, par exemple un responsable informatique ou un webmaster chargé de développer la présence en ligne de l’entreprise, la jurisprudence reconnaît généralement la titularité à l’employeur. Cette solution s’appuie sur le lien de subordination caractéristique du contrat de travail, défini par l’article L.1221-1 du Code du travail.
Dans un arrêt du Tribunal de commerce de Paris du 28 janvier 2008, les juges ont considéré que l’enregistrement d’un nom de domaine par un directeur technique, même effectué en son nom personnel, devait bénéficier à l’entreprise dès lors que cette démarche s’inscrivait dans le cadre de ses attributions professionnelles.
Cette solution se justifie par le fait que le salarié agit alors comme mandataire de l’entreprise, l’enregistrement constituant un acte d’exécution de son contrat de travail. La théorie de l’apparence peut également être invoquée pour conforter les droits de l’employeur lorsque le salarié a agi ostensiblement pour le compte de l’entreprise.
L’enregistrement à l’initiative personnelle du salarié
La situation est plus complexe lorsque le salarié prend l’initiative d’enregistrer un nom de domaine sans instruction spécifique de son employeur. Dans ce cas, plusieurs facteurs entrent en ligne de compte pour déterminer la titularité légitime :
- L’existence ou non d’un lien entre le nom de domaine et l’activité de l’entreprise
- L’utilisation effective du nom de domaine pour des activités professionnelles ou personnelles
- Le moment de l’enregistrement (pendant ou en dehors du temps de travail)
La Cour d’appel de Versailles, dans un arrêt du 11 avril 2012, a reconnu la titularité d’un nom de domaine à un salarié qui l’avait enregistré de sa propre initiative, sur son temps personnel et avec ses propres moyens, alors que ce nom n’était pas directement lié à la dénomination sociale ou aux marques de l’entreprise.
Cette jurisprudence nuancée témoigne de la nécessité d’une appréciation au cas par cas, tenant compte de l’ensemble des circonstances de l’enregistrement et de l’exploitation du nom de domaine.
Le cas particulier de l’enregistrement du nom de l’entreprise
Un cas spécifique concerne l’enregistrement par un salarié d’un nom de domaine reprenant à l’identique ou de manière approchante la dénomination sociale, le nom commercial ou une marque de l’entreprise. Dans cette hypothèse, la jurisprudence tend à reconnaître systématiquement la titularité à l’employeur, sur le fondement de ses droits antérieurs.
La Chambre commerciale de la Cour de cassation a ainsi jugé, dans un arrêt du 13 décembre 2005, que l’enregistrement par un salarié d’un nom de domaine reprenant la dénomination sociale de son employeur constituait un acte de concurrence déloyale et un abus de droit, justifiant le transfert de propriété au bénéfice de l’entreprise.
Régime juridique applicable aux créations de salariés
Pour appréhender pleinement la question de la titularité des noms de domaine enregistrés par un salarié, il convient d’examiner le régime juridique applicable aux différentes créations réalisées dans le cadre d’une relation de travail. Ce régime varie selon la nature de la création concernée.
Inventions de salariés et propriété industrielle
En matière d’inventions, l’article L.611-7 du Code de la propriété intellectuelle établit une typologie précise distinguant trois catégories :
- Les inventions de mission, réalisées dans l’exécution du contrat de travail comportant une mission inventive, qui appartiennent à l’employeur
- Les inventions hors mission attribuables, réalisées par le salarié dans le cadre de ses fonctions mais sans mission inventive explicite, qui appartiennent initialement au salarié mais peuvent être attribuées à l’employeur moyennant contrepartie financière
- Les inventions hors mission non attribuables, sans lien avec les fonctions du salarié, qui lui appartiennent pleinement
Par analogie, certaines juridictions ont transposé ce schéma tripartite à la question des noms de domaine, considérant que l’enregistrement d’un nom de domaine dans le cadre d’une mission explicite confiée au salarié s’apparente à une « invention de mission » appartenant de plein droit à l’employeur.
Le Tribunal de Grande Instance de Nanterre, dans un jugement du 7 mai 2008, a ainsi qualifié « d’invention de mission » l’enregistrement d’un nom de domaine par le responsable informatique d’une entreprise, justifiant son attribution à l’employeur.
Œuvres de l’esprit et droit d’auteur
En matière de droit d’auteur, le régime applicable aux créations de salariés diffère sensiblement. L’article L.111-1 du Code de la propriété intellectuelle prévoit que l’existence d’un contrat de travail n’emporte aucune dérogation à la jouissance des droits d’auteur par le créateur salarié.
Toutefois, la jurisprudence a nuancé ce principe en admettant que le contrat de travail peut emporter une cession implicite des droits patrimoniaux à l’employeur, lorsque la création s’inscrit strictement dans le cadre des fonctions du salarié et correspond à l’objet de son engagement.
Cette approche peut trouver à s’appliquer aux noms de domaine lorsqu’ils sont associés à une création originale, comme un site internet développé par le salarié. La Cour d’appel de Paris, dans un arrêt du 25 novembre 2010, a ainsi considéré que le développement d’un site internet par un salarié webmaster emportait transfert des droits sur le nom de domaine associé à l’employeur.
Application spécifique aux noms de domaine
Le nom de domaine en lui-même ne constitue ni une invention brevetable, ni une œuvre de l’esprit protégeable par le droit d’auteur. Sa nature juridique sui generis justifie un traitement spécifique.
Les tribunaux tendent à considérer le nom de domaine comme un « signe distinctif » rattaché à l’entreprise, à l’instar d’un nom commercial ou d’une enseigne. Cette qualification justifie son attribution à l’employeur lorsqu’il est enregistré dans un contexte professionnel.
La Chambre commerciale de la Cour de cassation, dans un arrêt du 9 juin 2015, a confirmé cette approche en jugeant que le nom de domaine constitue un « élément du fonds de commerce » de l’entreprise lorsqu’il est utilisé pour son activité, indépendamment de l’identité de la personne physique ayant procédé à son enregistrement.
Cette qualification du nom de domaine comme actif immatériel de l’entreprise renforce la tendance jurisprudentielle à reconnaître la titularité à l’employeur lorsque l’enregistrement s’inscrit dans un cadre professionnel.
Prévention et gestion des conflits de titularité
Face aux risques contentieux liés à la titularité des noms de domaine enregistrés par des salariés, les entreprises ont tout intérêt à mettre en place des mesures préventives et à prévoir des mécanismes de résolution des conflits.
Clauses contractuelles spécifiques
L’insertion de clauses dédiées dans le contrat de travail ou dans un document annexe constitue la première ligne de défense pour sécuriser la titularité des noms de domaine. Ces clauses peuvent prendre plusieurs formes :
- Une clause de propriété intellectuelle étendue aux noms de domaine
- Une clause de cession automatique des droits sur les noms de domaine enregistrés dans le cadre professionnel
- Une clause d’information obligatoire en cas d’enregistrement personnel d’un nom de domaine lié à l’activité de l’entreprise
La Cour de cassation a validé l’efficacité de telles clauses dans un arrêt du 15 mars 2011, en jugeant opposable à un salarié l’obligation contractuelle de céder à son employeur les noms de domaine enregistrés dans le cadre de ses fonctions.
Pour être pleinement efficaces, ces clauses doivent être rédigées avec précision et délimiter clairement leur champ d’application, en évitant les formulations trop générales qui pourraient être requalifiées en clauses abusives par les tribunaux.
Politiques d’entreprise et chartes informatiques
Au-delà des stipulations contractuelles individuelles, les entreprises peuvent élaborer des politiques collectives encadrant l’enregistrement et la gestion des noms de domaine. Ces politiques peuvent être formalisées dans une charte informatique ou un règlement intérieur.
Ces documents doivent préciser :
- Les procédures à suivre pour l’enregistrement d’un nom de domaine
- Les personnes habilitées à procéder à ces enregistrements
- L’obligation d’enregistrer les noms de domaine directement au nom de l’entreprise
- Les règles applicables en cas de départ du salarié
Pour être opposables aux salariés, ces documents doivent respecter les formalités prévues par le Code du travail, notamment en termes de consultation des représentants du personnel et de publicité.
La Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés (CNIL) recommande par ailleurs d’informer clairement les salariés sur les règles applicables à l’utilisation des ressources informatiques de l’entreprise, y compris pour l’enregistrement de noms de domaine.
Gestion technique centralisée
Sur le plan opérationnel, la mise en place d’une gestion technique centralisée des noms de domaine constitue une mesure préventive efficace. Cette centralisation peut prendre plusieurs formes :
- Désignation d’un service ou d’une personne unique responsable des enregistrements
- Utilisation d’un compte professionnel unique auprès des bureaux d’enregistrement
- Mise en place d’un inventaire régulièrement actualisé des noms de domaine de l’entreprise
Cette approche centralisée permet d’éviter la dispersion des enregistrements entre différents salariés et facilite le suivi des renouvellements et des modifications techniques.
Le Tribunal de commerce de Paris a d’ailleurs souligné, dans un jugement du 8 février 2013, que l’absence de politique claire en matière d’enregistrement de noms de domaine constituait une négligence de l’employeur pouvant affaiblir sa position en cas de litige avec un salarié.
Procédures de transfert lors du départ d’un salarié
Le moment du départ d’un salarié, qu’il s’agisse d’une démission, d’un licenciement ou d’une rupture conventionnelle, constitue une période critique pour la sécurisation des noms de domaine. L’entreprise doit prévoir des procédures spécifiques pour cette situation :
- Inventaire des noms de domaine enregistrés par le salarié sortant
- Formalisation des transferts techniques nécessaires
- Modification des contacts administratifs et techniques
- Vérification des échéances de renouvellement
La transaction de rupture peut utilement comporter une clause spécifique sur le transfert des noms de domaine, clarifiant définitivement la situation et prévenant les contentieux ultérieurs.
Résolution des litiges et recours juridiques
Malgré les mesures préventives, des conflits peuvent survenir concernant la titularité des noms de domaine enregistrés par un salarié. Différentes voies de recours s’offrent alors à l’employeur pour faire valoir ses droits.
Procédures alternatives de résolution des litiges
Les procédures alternatives de résolution des litiges (PARL) constituent souvent une première étape moins coûteuse et plus rapide que l’action judiciaire. Pour les noms de domaine en .fr, l’AFNIC a mis en place une procédure SYRELI (Système de résolution des litiges) permettant de contester l’enregistrement d’un nom de domaine.
Cette procédure peut être engagée par l’employeur qui estime qu’un salarié ou ancien salarié a enregistré abusivement un nom de domaine lié à son entreprise. Pour obtenir gain de cause, l’employeur doit démontrer :
- Qu’il possède un intérêt à agir (droits sur une marque, nom commercial, etc.)
- Que le titulaire actuel ne justifie pas d’un intérêt légitime
- Que l’enregistrement a été réalisé de mauvaise foi
Le Collège SYRELI de l’AFNIC a rendu plusieurs décisions favorables à des employeurs dans des cas d’enregistrement par d’anciens salariés, notamment lorsque le nom de domaine reprenait la dénomination sociale de l’entreprise.
Pour les extensions génériques (.com, .net, etc.), la procédure UDRP (Uniform Domain Name Dispute Resolution Policy) administrée par l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (OMPI) offre un mécanisme similaire. Le Centre d’arbitrage et de médiation de l’OMPI a développé une jurisprudence substantielle sur les cas d’enregistrement par des salariés.
Action en revendication et transfert forcé
L’action en revendication devant les tribunaux constitue une voie plus formelle pour obtenir le transfert d’un nom de domaine indûment enregistré par un salarié. Cette action peut être fondée sur différents fondements juridiques :
- La violation du contrat de travail et du devoir de loyauté
- L’atteinte aux droits de propriété intellectuelle de l’employeur
- L’enrichissement sans cause
- La concurrence déloyale
Le Tribunal judiciaire (anciennement Tribunal de grande instance) est compétent pour connaître de ces litiges. Il peut ordonner le transfert forcé du nom de domaine au profit de l’employeur légitime.
Dans un arrêt du 22 octobre 2014, la Cour d’appel de Paris a ainsi ordonné le transfert d’un nom de domaine enregistré par un ancien directeur commercial à son nom personnel, considérant qu’il avait agi en qualité de mandataire de la société lors de l’enregistrement initial.
Action en responsabilité civile et dommages-intérêts
Au-delà du transfert du nom de domaine, l’employeur peut engager une action en responsabilité civile contre le salarié fautif pour obtenir réparation du préjudice subi. Ce préjudice peut comprendre :
- La perte de clientèle liée à l’indisponibilité du nom de domaine
- Les coûts engagés pour développer une présence en ligne alternative
- L’atteinte à l’image de marque de l’entreprise
La Cour de cassation a confirmé, dans un arrêt du 17 mars 2016, que le détournement d’un nom de domaine par un salarié pouvait constituer une faute grave justifiant un licenciement sans indemnités et ouvrant droit à des dommages-intérêts pour l’employeur.
Cette action en responsabilité peut être combinée à l’action en revendication ou exercée séparément, notamment lorsque le nom de domaine a déjà été transféré à un tiers de bonne foi.
Aspects pénaux : abus de confiance et escroquerie
Dans les cas les plus graves, l’enregistrement frauduleux d’un nom de domaine par un salarié peut recevoir une qualification pénale, ouvrant la voie à une action publique.
Le délit d’abus de confiance, défini à l’article 314-1 du Code pénal, peut être caractérisé lorsqu’un salarié détourne un nom de domaine enregistré pour le compte de son employeur. La Chambre criminelle de la Cour de cassation a reconnu dans un arrêt du 21 juin 2017 qu’un nom de domaine pouvait constituer un bien susceptible d’abus de confiance.
Le délit d’escroquerie (article 313-1 du Code pénal) peut également être invoqué lorsque le salarié a usé de manœuvres frauduleuses pour obtenir l’enregistrement du nom de domaine, par exemple en se présentant faussement comme le représentant légal de l’entreprise.
Ces qualifications pénales présentent l’avantage de permettre une saisie conservatoire rapide du nom de domaine litigieux dans le cadre de l’enquête, mais supposent un degré élevé de mauvaise foi de la part du salarié.
Perspectives d’évolution et recommandations pratiques
La question de la titularité des noms de domaine en cas de travail salarié s’inscrit dans un contexte juridique et technologique en constante évolution. Les entreprises doivent adapter leurs pratiques pour sécuriser leurs actifs numériques tout en respectant les droits légitimes des salariés.
Tendances jurisprudentielles récentes
L’analyse des décisions judiciaires récentes révèle plusieurs tendances de fond qui structurent progressivement ce domaine du droit :
Une distinction de plus en plus fine est opérée par les tribunaux entre les différents types d’enregistrement, avec une attention particulière portée à l’intention des parties et au contexte de l’enregistrement. La Cour d’appel de Lyon, dans un arrêt du 14 mars 2019, a ainsi refusé d’ordonner le transfert d’un nom de domaine enregistré par un salarié lorsque celui-ci avait obtenu l’accord tacite de son employeur pour développer un projet personnel parallèlement à ses fonctions.
La prise en compte croissante de l’investissement personnel du salarié dans le développement du nom de domaine et du site associé constitue une autre évolution notable. Le Tribunal judiciaire de Paris a ainsi reconnu, dans un jugement du 11 septembre 2020, qu’un salarié ayant développé sur son temps personnel un site adossé à un nom de domaine pouvait conserver certains droits sur cet actif, même s’il avait un lien avec l’activité de l’entreprise.
L’émergence du concept de « valeur économique du nom de domaine » comme critère d’appréciation de sa titularité légitime marque également une évolution significative. Les tribunaux tendent à considérer que plus un nom de domaine représente une valeur économique importante pour l’entreprise, plus sa revendication par celle-ci est légitime, indépendamment des conditions formelles de son enregistrement.
Impact des nouvelles technologies et des nouveaux usages
L’évolution technologique et les nouveaux usages numériques complexifient encore la question de la titularité des noms de domaine :
La multiplication des extensions de noms de domaine (nouvelles extensions génériques comme .shop, .store, etc.) élargit considérablement le champ des possibles en matière d’enregistrement, rendant plus difficile pour les entreprises le contrôle exhaustif de leur présence en ligne.
Le développement du télétravail et des formes hybrides d’organisation du travail brouille la frontière entre sphère professionnelle et personnelle, rendant plus complexe la qualification des actes accomplis par le salarié. La Cour d’appel de Versailles a ainsi jugé, dans un arrêt du 7 janvier 2021, que l’enregistrement d’un nom de domaine par un salarié en télétravail, depuis son équipement personnel mais pendant ses heures de travail, devait être considéré comme effectué dans le cadre professionnel.
L’émergence des réseaux sociaux comme canaux de présence en ligne alternatifs aux sites web traditionnels modifie également l’approche stratégique des entreprises vis-à-vis des noms de domaine. La valeur respective d’un nom de domaine et d’un identifiant de réseau social fait l’objet d’appréciations différenciées par les tribunaux.
Recommandations pour les employeurs
Face à ces enjeux, plusieurs recommandations pratiques peuvent être formulées à l’attention des employeurs :
- Établir une politique claire et formalisée d’enregistrement et de gestion des noms de domaine, incluant une procédure d’autorisation préalable
- Intégrer systématiquement des clauses spécifiques dans les contrats de travail, particulièrement pour les postes impliquant une responsabilité dans la présence en ligne de l’entreprise
- Procéder à un audit régulier des noms de domaine liés à l’entreprise pour identifier d’éventuels enregistrements non autorisés
- Centraliser la gestion administrative et technique des noms de domaine auprès d’un service dédié ou d’un prestataire spécialisé
- Mettre en place une procédure systématique de vérification et de transfert des noms de domaine lors du départ d’un salarié
La Fédération des Entreprises du Numérique recommande par ailleurs de privilégier l’enregistrement direct des noms de domaine au nom de l’entreprise, même lorsque la démarche technique est effectuée par un salarié, afin d’éviter toute ambiguïté sur la titularité.
Recommandations pour les salariés
Les salariés doivent également adopter certaines précautions pour sécuriser leur situation :
- Distinguer clairement les enregistrements effectués à titre personnel de ceux réalisés dans le cadre professionnel
- Documenter les accords, même informels, obtenus de l’employeur concernant l’enregistrement de noms de domaine
- Conserver les preuves de financement personnel des frais d’enregistrement et de maintenance
- Clarifier par écrit la situation des noms de domaine lors de la rupture du contrat de travail
Le Conseil National du Numérique souligne l’importance pour les salariés d’être transparents vis-à-vis de leur employeur concernant leurs projets personnels impliquant l’enregistrement de noms de domaine, afin de prévenir tout conflit ultérieur.
En définitive, la sécurisation juridique de la titularité des noms de domaine dans le cadre d’une relation de travail salarié repose sur un équilibre entre la protection légitime des actifs immatériels de l’entreprise et le respect des droits des salariés sur leurs créations personnelles. Cet équilibre ne peut être atteint que par une combinaison de mesures préventives, de clauses contractuelles adaptées et de pratiques transparentes.
